(Précisions : sur la seconde carte ci-dessus, le "Belgium" est le nom de la province sud-ouest de la Belgique, correspondant en gros aux département de l'Oise et de la Somme de la Picardie actuelle. Au sud-est, le nom de "Germani" n'est pas à confondre avec la Germanie proprement dite située au-delà du Rhin : il désigne ici les Germains qui peuplaient alors cette portion du territoire belge.)
Il convient d'ajouter qu'en fonction des auteurs, l'étendue du territoire de la Gaule belgique peut varier, aisi qu'en témoigne la carte suivante, sur laquelle il apparait colorisé en orange :
Germains celtisés et Celtes germanisés
Voyons à présent ce qu'écrit Jules César à propos des Belges dans ses fameux Commentaires sur la Guerre des Gaules :
"La plupart des Belges sont issus des Germains ; ils avaient autrefois passé le Rhin, et s'étaient fixés en ces lieux à cause de la fertilité du sol, après en avoir chassé les habitants gaulois."
En outre, il précise :
"Toute la Gaule est divisée en trois parties, dont l'une est habitée par les Belges, l'autre par les Aquitains, la troisième par ceux qui, dans leur langue, se nomment Celtes, et dans la nôtre, Gaulois. Ces nations diffèrent entre elles par le langage, les institutions et les lois. Les Gaulois sont séparés des Aquitains par la Garonne, des Belges par la Marne et la Seine. Les Belges sont les plus braves de tous ces peuples, parce qu'ils restent tout à fait étrangers à la politesse et à la civilisation de la province romaine, et que les marchands, allant rarement chez eux, ne leur portent point ce qui contribue à énerver le courage : d'ailleurs, voisins des Germains qui habitent au-delà du Rhin, ils sont continuellement en guerre avec eux."
Comme César l'avait bien noté, il est donc manifeste que la Belgique constitue une zone spécifique depuis la plus haute antiquité, dont l'identité ethno-culturelle est celto-germanique, donc ni totalement celtique ni totalement germanique, mais les deux à la fois. Les peuples belges étaient donc constitués de Germains celtisés et de Celtes germanisés, les deux composantes étant chez eux si étroitement imbriquées qu'il est souvent difficile de les distinguer l'une de l'autre...
Les sources se rapportant spécifiquement à ces peuples germano-celtiques de la Gaule Belgique sont hélas assez rares. Néanmoins, il est tout à fait légitime de supposer chez eux un étroit syncrétisme non seulement sur les plans culturel, artistique, sociétal etc, mais aussi dans le domaine spirituel, où le Paganisme celtique s'est très certainement mêlé au Paganisme germanique, donnant ainsi naissance à une Tradition religieuse spécifique. Nous avons donc là un exemple tout à fait exceptionnel de symbiose entre germanité et celticité.
Il est ici nécessaire de faire justice une bonne fois pour toutes d'un mythe négationniste entretenu et colporté depuis trop longtemps par les Etats modernes français et surtout belge, consistant à réduire l'histoire de la Belgique ancienne - et donc des Belgae - uniquement à "la Gaule" et à sa nature exclusivement gauloise, puis "gallo-romaine", pour mieux marquer l'opposition voire l'antagonisme avec le monde germanique. Faisons donc ici profession de nous inscrire en faux contre de telles assertions qui, pour des motifs inavoués d'ordre idéologique, maintiennent le grand public dans l'ignorance en mentant sciemment par omission : non, mille fois non, les Belgae (peuples de la Gaule belgique, comprise entre Seine, Marne et Rhin) n'étaient pas juste "des Gaulois" parmi les autres. Ce n'étaient pas juste "des Celtes" indifférenciés, mais un ensemble de peuples aux particularismes affirmés, constituant un trait d'union entre mondes celtique et germanique. En témoignent notamment leurs spécificités linguistiques respectives. Pour ceux qui en douteraient, reproduisons donc ci-dessous cette liste, tirée de Wikipédia :
Et ce, sans même évoquer les cas d'inter-influences culturelles (Germains celtisés et Celtes germanisés), lesquelles complexifient les choses.
A titre d'exemple, on évitera soigneusement d'évoquer le fait que les Éburons étaient de langue germanique, et donc qu'ils en étaient plus que probablement d'origine...
Ou encore que les Trévires - assimilés aux Belgae -, étaient certes réputés dans toutes les Gaules et même dans le monde romain pour la qualité de leurs chevaux, dans l'élevage desqueld ils s'étaient fait une spécialité, mais on se gardera bien de rappeler que lesdits Trévires, tout celtisés qu'ils soient, étaient en réalité d'origine... germanique ! etc etc. Les exemples sont légion.
Un ensemble de peuples qui a profondément marqué la région
Au delà de l'image fort sympathique mais caricaturale -et souvent anachronique- qu'évoque dans l'esprit du grand public la fameuse bande dessinée "Astérix chez les Belges" , il faut bien se figurer que ces derniers représentent un ensemble de peuples fondateurs ayant marqué de façon indélébile l'ensemble des territoires qui constituent aujourd'hui tant le Royaume de Belgique que la France septentrionale, du nord de la Seine jusqu'à l'ouest du Rhin.
Parmi les peuples belges les plus marquants de l'actuel "nord de la France", Picardie et Nord-Pas de Calais, citons notamment, les Bellovaques, dont le nom a donné celui de Beauvais, leur ancien oppidum, les Ambiens (Amiens), les Suessions (Soissons), ou encore les Atrébates, qui ont donné leur nom à Arras (en flamand Atrecht), et qui sont même peut-être à l'origine du nom de l'Artois (à vérifier). Pour l'actuel Royaume de Belgique, on songera bien entendu aux célèbres Nerviens et Ménapiens, auxquels sont parfois identifiés respectivement, de façon quelque peu hâtive, les actuels Wallons et Flamands. Mais on pourrait tout aussi bien mentionner d'autres peuplades majeures telles que les Eburons, dont le territoire se situait dans l'actuelle province de Liège, ou encore les prestigieux Aduatuques, établis dans ce qui est aujourd'hui l'Ardenne.
Enfin, au niveau des grandes figures historiques signalons entre autres les chefs belges Ambiorix et Catuvolcos (dont le nom signifie "Loup de Guerre"), tous deux co-rois deac Éburons, Commios, rois des Atrébates, ainsi que le chef bellovaque Correos (ou Correus dans sa forme latinisée, voire Korreos, véritable "Vercingétorix belge" qui a donné beaucoup de fil à retordre aux envahisseurs romains, en poursuivant une résistance acharnée après la défaite d'Alésia, à la tête d'une coalition de peuples belges. Ce Correos a particulièrement marqué César, qui y fait allusion à plusieurs reprises dans sa "Guerre des Gaules".
La mort de Corréus (Correos/Korreos),
gravure de D. Maillart, XIXème siècle
Monnaie belge antique :
Denier des Atrébates datant du Ier siècle avant l'ère chrétienne,
et frappé au nom de Commios.
Statue d'Ambiorix, co-roi des Éburons, à Tongres (Tongeren en flamand)
POUR ALLER PLUS LOIN
Cette brève présentation aura peut-être -du moins convient-il de l'espérer- su éveiller l'intérêt du lecteur ou de la lectrice pour les traces historiques, archéologiques, ethnologiques, linguistiques et toponymiques léguées par l'ensemble de ces peuples, qui ont tant contribué à forger un certain nombre de particularismes encore observables de nos jours, et qui ont ainsi grandement contribué à donner au Royaume de Belgique et à la France du nord et du nord-est une identité ethno-culturelle spécifique, tout à fait distincte du monde gaulois pris dans son ensemble.
Pour quelques précisions complémentaires, vous pourrez par exemple consulter la fiche Wikipedia relative aux anciens Belges :
Voir aussi la liste des peuples de la Gaule Belgique :
Les livres et autres sources littéraires spécifiquement consacrés aux Belgae constituent hélas une denrée rare dans le contexte actuel, surtout lorsqu'il est question d'ouvrages de vulgarisation à destination du grand public.
Néanmoins, et de façon bien entendu non exhaustive, signalons entre autres le livre d'Eugène Warmenbol La Belgique gauloise : Mythes et archéologies, paru en 2010 aux Editions Racine, et qui traite plus spécifiquement des représentations symboliques de ce passé national, ainsi que de leur instrumentalisation par les autorités belges entre 1830 et la première moitié du XXème siècle, à travers les arts, l'architecture, les mythes fondateurs du pays etc. Ce livre illustre de façon détaillée la manière dont les autorités de cet Etat ont fait usage immodéré, dès 1830, d'une certaine propagande visant à tout prix à se démarquer du voisin germanique...
Enfin, je ne saurais conclure cet article sans renvoyer le lecteur à Ces Belges les plus braves - Histoire de la Belgique gauloise, d'Ugo Janssens. Celui-ci retrace l'épopée passionnante de nos ancêtres Celtes (en général) et de la Gaule belgique (en particulier). Contrairement à trop d'autres auteurs et chercheurs belges comme français, Ugo Janssens a le bon goût de ne pas passer la spécificité celto-germanique (ou germanico-celte) des Belgae sous silence, mais bien au contraire de la souligner. Une lecture très vivement recommandée, donc.
Présentation par l'éditeur :
" Best-seller dans son édition originale, cet ouvrage raconte l'épopée de ces Belges appelés par Jules César "les plus braves de tous les peuples de la Gaule". L'auteur suit l'itinéraire de leurs ancêtres celtes, depuis l'Asie centrale jusqu'aux rives de la mer du Nord et de la Manche. Il relate comment les Belges pénétrèrent jusqu'au sud de l'Angleterre, où ils fondèrent Londres, comment ils abordèrent les côtes occidentales de l'Irlande et prirent possession de la région qui s'étend entre le Rhin et la Seine. L'ouvrage passe au crible la version de "la guerre des Gaules" par César et en rétablit la vérité historique. Il décrit la vie quotidienne des Éburons, des Nerviens, des Ménapiens, des Ambiens, des Morins et d'autres peuplades moins connues, comme les Suessions, les Condruzes et les Aduatiques. Ce faisant, il met en lumière les découvertes celtiques que sont entre autres le char, le fût en bois, les carreaux écossais, les cosmétiques et le savon; il se penche sur la mythologie et les dieux qui peuplaient nos forêts, nos fagnes et notre littoral, s'attache à la condition et au monde de la femme où primait la beauté, et décrypte le rôle des druides et des druidesses.
Cet ouvrage aussi captivant qu'innovant n'aurait pu être écrit sans l'apport considérable de la recherche archéologique et historique la plus récente. "
Editions Racine, 2008, 256p
On pourra toutefois regretter que ces deux livres soient épuisés, et qu'ils ne figurent pas sur la page internet de l'éditeur, comme celui-ci avaient cherché à en gommer toute trace... (Auto)Censure ?. Quoi qu'il en soit, voilà qui est tout aussi étrange que regrettable. A quand de salutaires rééditions, qui permettraient enfin de redonner au public à des ouvrages exceptionnels - notamment à celui d'Ugo Janssens ? C'est, en tout cas, à souhaiter.
Hans CANY
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